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Le digital se consomme, le papier se déguste !

6 janvier 2022

Vincent Mayet est fondateur et dirigeant de Havas Commerce. Une structure qui analyse et scrute le retail dans le monde entier. Quel œil plus expert pouvait regarder et analyser l’arrivée du Oui-Pub en France.
Alors, querelle franco-française ou tendance mondiale ?

Portrait

Vincent Mayet est tombé dans la pub quand il était petit.

Entré comme stagiaire chez Havas, il se destinait à la partie plutôt esthétique du métier en espérant travailler pour le luxe, le sport, l’alimentaire… Mais sa carrière l’a emmené du côté du retail, au point de développer une expertise qui l’a embarqué loin de nos frontières, « pour aller voir les grands » assure-t-il. De retour, il propose rapidement à Havas de pérenniser ce savoir-faire et de le vendre. C’est la naissance d’Havas Commerce, dont les clients demandent sans cesse « mais que font ou feraient Alibaba, Amazon ou Wal-Mart ? ».

L’équipe travaille donc en profondeur les sujets retail sur une échelle internationale. Des analyses qui peuvent durer entre six et huit mois, pour produire une vision du commerce toujours plus fine. Car « partout dans le monde, les mêmes problématiques intéressent tous les pays ».

Avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous nous faire un point d’étape du retail français ?

Vincent Mayet : rappelons-nous que c’est en France qu’est né le premier hypermarché [NDLR : Carrefour à Saint-Geneviève des Bois en 1963]. Mais notre pays invente de moins en moins le retail. Nous avons de très bons professionnels, les enseignes font un travail incroyable, je pense notamment à l’alimentaire frais qui propose de véritables « cathédrales de nourriture ». Mais, en matière de data, de livraison, de connaissance client, nous sommes dépassés par des gens proprement hallucinants.

Concernant la data, les pays les plus forts sont ceux qui gèrent des millions d’individus : USA et Chine. Le tout sur de grands territoires avec des flux de datas à l’échelle du pays. Nous sommes un petit pays de la data !

Regardez aussi l’excellence d’Amazon qui est « 100 % client centric ». Jeff Bezos ne prend pas une décision -et les investissements qui vont avec- sans penser au client. Quand il a décidé de vendre des produits d’occasion, il s’est demandé si cela était bon pour le client, malgré le tollé de ses collaborateurs. La réponse était oui. Il l’a donc fait. Quitte à « tordre le bras » de ses équipes. EBay s’en souvient encore…

Voyez-vous, ce jusqu’au-boutisme manque en France. Il est pourtant parfaitement réplicable.

Le Oui-Pub, vous êtes pour ou contre ?

V.M. : c’est surtout un problème très français ! Les pays anglo-saxons par exemple, sont moins friands de cette forme de communication.

Cela étant dit, je ne suis pas particulièrement enthousiaste, car on remet en question des choses bien installées de façon unilatérale. Nous savons que cela rend un service d’envoyer aux consommateurs des promotions. En supprimant cet outil, il y aura report sur d’autres formats : le numérique, d’autres médias, plus de ciblage.

[bctt tweet= »A titre personnel j’étais une personne très connectée. Jusqu’au jour où j’ai voulu lire sur une tablette. C’était une torture ! Le papier est maniable et ergonomique. J’ai coutume de dire que le digital se consomme, le papier se déguste ! » via= »no »]

Eh bien, les prospectus font partie de notre vie. Le support devra sans doute monter en gamme, s’adapter pour devenir un outil plus « important » dans la vie des clients, rendre le moment où il est reçu plus « magique ». Il y a donc un gros travail à mener.

Sans doute l’accumulation dans la boite à lettres fait qu’il peut y avoir une forme de ras le bol. Entendons-le, mais le papier ne peut pas disparaître ! D’ailleurs depuis dix ans qu’on cherche, personne n’a trouvé d’alternative.

Pour le consommateur, c’est un accès unique aux promotions. Pour les marques, c’est la possibilité d’émerger dans des enseignes où l’espace est contraint : 50 000 références en hypermarché.

Au final, tout le monde a besoin des prospectus, leur présence est donc tout sauf anodine.

Vous pensez qu’il y a un risque sur la filière ?

V.M. : j’observe surtout que se crée une forme de consensus. Il y a beaucoup d’émotionnel et les parties concernées se battent assez peu. Pourtant chacun sait que derrière les entreprises du digital, présentées comme alternative, se cachent des forêts de serveurs, de grandes consommations électriques. Évoque-t-on suffisamment la question de cette empreinte écologique ? Je ne suis pas certain.

A lire sur le même sujet : Notre grand dossier sur l’ACV comparative de campagne digitale et papier.

Vous qui avez une vision internationale, comment fait « le reste du monde » ?

V.M. : Aux USA ; il n’y a pas de prospectus, car ils sont très digitalisés. En Chine, les prospectus existent mais, comme tous les pays en voie de développement, les Chinois ont fait rapidement le saut technologique grâce à un taux d’équipement digital énorme. De plus, ils sont assez fans de technologie et « early adopter » comme on dit dans notre jargon. Ils accueillent ces évolutions avec beaucoup de gourmandise. Rapidement des « big App » comme WeChat ou Alipay (NDLR : moyen de paiement chez Ali baba), sont devenues des super applications, intégrant des données telles que paiement, répertoire, identité, santé, épargne, banque, … Il y a toute votre vie sur ces Apps et elles ont pris le pas sur le prospectus.

Et ils n’ont pas le RGPD…

Quid du vieux continent ?

V.M. : en France, nous sommes moins réactifs et engagés. Les choses se font plus doucement et il existe des freins tels que le RGPD que j’évoquais, et qui interdit de croiser toutes les données. Des PayPal ou des grandes banques pourraient devenir des super Apps, mais les réticences sont là et ce n’est pas pour demain.

Le reste de l’Europe s’appuie sur deux modèles :

Le discount, qui ne permet pas d’imprimer et distribuer des catalogues car les marges sont trop faibles, mais que les clients peuvent retrouver en magasin. Lidl de son côté a lancé un programme de fidélité via une App mobile dans laquelle vous retrouvez les prospectus du moment.

Les enseignes moins fortes sur les prix et qui utilisent beaucoup le prospectus pour la promotion : elles vont souffrir.

Vous allez observer l’expérimentation Oui-Pub ?

V.M. : bien-sûr. Dans un premier temps, attendre que la poussière retombe et observer si les distributeurs ont investi -ou pas- dans un média alternatif, ou s’ils ont déniché des outils plus structurants.

Par exemple : moins de prospectus mais un catalogue annuel, comme l’ont fait Ikea ou La Redoute en France. Ou encore Argos au Royaume Uni qui a opté pour un modèle entre Amazon et La Redoute : les clients scannent les produits sur un catalogue et sont livrés dans la journée.

D’autres modèles sont encore à inventer, il faut rester positif et optimiste. Vous savez, j’ai fait beaucoup de prospectus dans ma carrière et on se posait la question de la pertinence très régulièrement. N’oublions pas que les publics seniors ou éloignés du digital ne seront jamais très fervents des SMS. Je suis convaincu qu’il reste des choses à imaginer côté papier !

Et que les stratégies CRM vont s’amplifier. Mieux cibler les clients, mieux les connaitre, mieux leur parler, pour mieux s’apercevoir que la seule digitalisation de la démarche commerciale ne va pas suffire : il faudra toujours des canaux papiers ou physiques.

Propos recueillis en novembre 2021

Le digital se consomme, le papier se déguste !